La préfecture de Shimane est un lieu enchanteur, parsemé de sanctuaires et empreint de légendes anciennes. Située au sud du Japon, au-dessus d'Hiroshima, c'est là que Daijiro Hama (1984) a passé une enfance nourrie par les yōkai (monstres) et s'est imprégné de contes qui l'accompagnent encore aujourd'hui.
Dessiner faisait partie intégrante de sa vie, au même titre que le petit-déjeuner. Enfant, il imaginait une carrière de marchand d'antiquités, au point de partir cinq ans au Canada pour concrétiser ce rêve. Mais c'est là-bas qu'il a compris que son besoin de dessiner dépassait de loin une simple habitude.
De retour au Japon, il s’installe à Kyoto et rencontre une artiste âgée, experte en sumi (encre japonaise), qui lui enseigne sa technique. Plus encore, elle lui transmet la philosophie du travail en monochrome, qui deviendra la signature de son style.
Aujourd'hui installé à La Haye, aux Pays-Bas, Daijiro façonne son univers intérieur. Noir et blanc, avec une touche de couleur pour souligner une émotion. Ce qui semble, à première vue, minimaliste, révèle à qui s'attarde une richesse et une profondeur de lignes insoupçonnées. Bien que très conceptuelle, son œuvre raconte toujours une histoire. Parfois, elle vous fixe droit dans les yeux ; d’autres fois, elle vous invite à laisser vagabonder votre imagination. Une chose est certaine : son travail provoque quelque chose. Une émotion, un mouvement, une sensation troublante. À vous de vous laisser toucher.
“Puman est un autoportrait, mais c’est aussi celui du spectateur. Un miroir qui reflète une part de nous-mêmes.”
Tu dessinais depuis ton enfance. N'as-tu jamais voulu aller dans une école d'art ?
Enfant, je ne savais même pas que ce genre d'école existait ! Plus tard, l'image que j'en avais ne m'a pas non plus aidé. Pour moi, une école d'art était un endroit avec des règles à suivre, où l'on devait « faire ce qu'on nous disait ».
Je ne sais pas si toutes les académies d'art sont comme ça, mais c'est l'idée que je m'en faisais, et je ne voulais pas faire partie d'un système. J'étais submergé d'inspiration et je voulais créer des choses, mais à ma façon, sans aucune contrainte.
Inner Wave (2020)
Ton pays natal joue un rôle essentiel dans ton travail, pourtant tu vis à l'étranger depuis plusieurs années.
Avant de partir pour le Canada, j'étais épuisé par l'incompréhension de mon indépendance par les autres. Peut-être est-ce une particularité des petites villes, mais j'étais lassé d'être perçu comme différent, même en partageant la même éducation et la même culture.
Au Canada, j'ai découvert de nombreuses différences culturelles, de coutumes, de traditions et de langue, mais je me sentais à la fois à l'aise et plein d'enthousiasme. J'avais le sentiment de pouvoir être moi-même tout en me connectant aux autres. C'était comme si je découvrais la version la plus authentique de moi-même, ce qui m'a beaucoup appris.
Plus tard, je suis retourné au Japon et j'ai passé quelques années à Kyoto. Bien que j'aie été heureux au début et que je pensais devoir m'y sentir à l'aise, j'ai rapidement ressenti la même frustration qu'avant mon départ pour le Canada.
Encore aujourd'hui, il m'est difficile de comprendre exactement ce qui se passe. Mais je sais que je ressens une excitation et une énergie intérieures dès que je quitte le Japon.
Portrait of a Puman (2021)
Dans ton exposition solo, tu nous présentes le personnage de Puman.
Puman est à la fois un autoportrait et le portrait de celui qui le regarde. C'est comme un miroir qui reflète une partie de nous-mêmes. En explorant profondément mon monde intérieur, Puman est apparu comme un personnage. C'est quelque chose que je déteste, mais qui finit toujours par se manifester. Je dois l'accepter, même si cela ne me plaît pas.
Parfois, il peut être naturel et honnête, mais il peut aussi causer des ennuis. Peut-être que chacun de nous a ce genre de côté en lui.
Puman montre souvent un visage comme Muku. En japonais, "Muku" signifie innocent et pur. Ce que j'essaie de dire, c'est que le visage de Puman est toujours "muku", vide, et que l'on peut projeter ses propres émotions sur lui. L'expression de Puman dépend donc de ce que ressent celui qui le regarde.
Je vais créer un nouveau personnage à l'avenir, appelé AI, un robot. AI est l'opposé complet de Puman. Mais parlons-en une autre fois.
"Le processus de création d'une œuvre d'art consiste à intégrer ce qui s'est passé au plus profond de moi (et à l'extérieur). Ce processus m'intrigue. Je dois l'affronter seul et le créer par moi-même. C'est comme si je fabriquais un jouet."
Nous parlons du processus de création d'une œuvre d'art. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?
L'inspiration me vient sans réflexion préalable. Elle est généralement déclenchée par une émotion, pas nécessairement par une image, même si cela peut arriver.
Je cherche à assimiler ce qui vient du plus profond de moi, quelque chose qui répond à une pensée ou une action et qui incarne des émotions du quotidien.
Pour exprimer ce qui se trouve en moi, j'utilise ma technique et des sujets comme Kuukan et Puman. Esthétique, directions et récits.
Le processus de création d'une œuvre consiste à intégrer ce qui s'est passé au plus profond de moi (et à l'extérieur). Ce processus m'intrigue. Je dois l'affronter seul et le créer par moi-même, comme si je fabriquais un jouet.
Le chemin pour y parvenir peut être joyeux, mais aussi effrayant et éprouvant.
Smoke & Fiber (2019)